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façon quiétiste. Nous ne voyons Wagner préoccupé que d’une chose, procurer à son art un asile en ce monde ; mais que nous importe un Tannhæuser, un Lohengrin, un Tristan, un Siegfried ! Il semble pourtant que ce soit la destinée de l’art, à une époque comme la nôtre, d’enlever à la religion agonisante une partie de sa force. De là l’alliance de Wagner avec Schopenhauer. On devine que peut-être bientôt la civilisation n’existera plus que sous forme de sectes, menant une existence claustrale et se séparant du monde qui les entoure. Le vouloir-vivre de Schopenhauer trouve ici son expression artistique : quelle sourde agitation sans but ! quelles extases ! quels désespoirs ! quels accents de souffrance et de désir ! quels cris d’amour et d’ardeur ! Rarement un gai rayon de soleil mais beaucoup de fantasmagories dans les éclairages !

Dans une semblable position réside pour l’art sa force et sa faiblesse ; il est bien difficile de revenir de là-bas vers la vie simple. Ce n’est plus de rendre la réalité meilleure qui est le but, mais de l’anéantir, de la faire s’évanouir sous le charme. La force réside dans le caractère sectaire : cet art est extrême et exige de l’homme une acceptation absolue. — Un homme est-il capable de devenir meilleur sous l’influence de cet art et de la philosophie de Schopenhauer ? Certainement, pour ce qui est de la véracité. Si, du moins, à une époque où le mensonge et les conventions sont si ennuyeux et si dépourvus d’intérêt, la véracité n’était pas si intéressante ! Si divertissante ! Si pleine de charme esthétique !

58.

Ne pas oublier que c’est une langue de théâtre que parle l’art wagnérien ; il n’a pas sa place au foyer familial, dans la camera. Cette langue ressemble à celle d’un discours populaire qu’on ne saurait imaginer sans une forte exagération même de ses passages les plus nobles. Elle doit exercer