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la musique absolue est dans son droit et la musique du drame doit être, elle aussi, une musique absolue. Pourtant il ne faut envisager tout cela que comme symbole et image — il n’est pas rigoureusement exact que le drame n’est qu’un exemple pour la généralité de la musique. En quoi y a-t-il espèce et exemple ? Dans les mouvements des attitudes (pour ne parler ici que du drame mimique). Or, les mouvements d’une figure peuvent signifier, eux aussi, la généralité, car ils expriment des états d’âme intimes qui sont beaucoup plus abondants et plus nuancés que leur résultante sous forme de mouvements exécutés par l’homme intérieur, C’est, pourquoi une attitude est souvent mal interprétée. De plus, il y a quelque choses d’infiniment conventionnel dans tous les gestes : l’homme absolument libre est une image trompeuse. Mais, si l’on abandonne le mouvement de la figure pour ne plus parler que de l’émotion qui l’agite, la musique devrait être la généralité, l’émotion de telle ou telle personne, le particulier. Or, la musique est précisément l’émotion du musicien exprimée en sons, donc en tous les cas celle d’un individu. Et il en a toujours été ainsi (si l’on fait abstraction de la doctrine purement formaliste de l’arabesque des sons). On se trouvait donc en présence d’une contradiction absolue ; une expression tout à fait déterminée du sentiment jaillissant sous forme de musique (absolument précis) — et, à côté, le drame, côte à côte d’expressions de sentiments tout à fait déterminés par des paroles et des gestes, Comment ceux-ci peuvent-ils s’identifier ? Le musicien peut, à vrai dire, ressentir, dans son for intérieur, toutes les péripéties du drame et les rendre sous forme de musique pure (l’ouverture de Coriolan). Cette reproduction prend alors, en face du drame lui-même, le sens d’une généralisation ; les motifs politiques, les arguments sont négligés et seule parle l’absurcle volonté. Dans toute autre acception, la musique dramatique est une mauvaise musique.