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intérêt public pour l’art fait défaut. Ou bien il est savant, ou bien tout à fait vulgaire. De-ci de-là, on rencontre l’aspiration isolée vers le beau. La musique occupe une situation spéciale, mais la musique elle-même n’est pas parvenue à créer une organisation, à empêcher l’importation de la musique théâtrale.

— Celui qui aujourd’hui applaudit au théâtre rougit le lendemain de son geste : nous avons nos autels du foyer domestique : Beethoven, Bach — alors le souvenir se prend à pâlir.

4.

Wagner s’est trouvé en face d’un public d’éducation très variée ; la réceptivité n’était pas la même pour l’œuvre et pour la musique. Il a pris le public pour une unité et a cru que les accès de sympathie jaillissaient du même fond, c’est-à-dire qu’il considérait comme certain que l’effet d’ensemble n’était qu’une addition des effets de détail uniformément distribués. Il y avait, selon lui, une somme déterminée de plaisir produite par la musique, une somme égale produite par l’exécution théâtrale et enfin la même somme par le plaisir que suscite le drame.

Maintenant il a appris à ses dépens qu’une grande comédienne est dans le cas de lui brouiller son calcul. Mais alors son idéal s’intensifie. Combien supérieur sera l’effet produit si la musique, l’exécution, etc., allaient de pair avec le talent de la comédienne !

5.

Le premier problème que se pose Wagner est le suivant : « Pourquoi ne parviens-je pas à réaliser un effet au dehors, du moment que moi je ressens cet effet ? » Cette question le pousse à une critique du public, de l’État, de la société. Il établit entre l’artiste et le public le rapport du sujet à l’objet… et il le fait naïvement.