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vertu la plus haute et la plus sacrée pour l’amour des faibles ? La vraie musique dut-elle se faire entendre parce que les hommes la méritaient le moins, mais en avaient le plus besoin ? Qu’on se plonge donc en esprit dans le miracle ineffable de cette possibilité. Si l’on regarde ensuite e arrière, la vie apparaît resplendissante, quelque sombre et brumeuse qu’elle parût auparavant.

7.

Il est impossible qu’il en soit autrement : l’observateur qui a devant les yeux une nature telle que celle de Wagner doit faire involontairement, de temps en temps, un retour forcé sur lui-même, sur sa petitesse et sa fragilité, pour se demander ce que cette nature a à faire avec lui. Il se dira alors : Pourquoi, dans quel dessein te trouves-tu là ? Sans doute la réponse lui fera-t-elle défaut, et se sentira-t-il comme embarrassé et surpris en face de sa propre nature. Qu’il lui suffise alors d’avoir éprouvé ces sentiments ; puisse-t-il, en outre, dans le fait qu’il est devenu étranger à sa propre nature, trouver une réponse à la question qu’il se posait. Car c’est précisément par ce sentiment qu’il participe à la puissante manifestation vitale chez Wagner, qu’il communie avec le centre de sa force, cette merveilleuse transmissibilité, cette abdication de sa propre nature, qui peut aussi bien se communiquer à d’autres qu’elle absorbe elle-même d’autres natures et reste grande, aussi bien en donnant qu’en acceptant. Tout en paraissant vaincu par la nature expansive et débordante de Wagner, l’observateur a pris lui-