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1.

Pour qu’un événement ait un caractère de grandeur, deux conditions doivent se trouver réunies : l’élévation du sentiment chez ceux qui l’accomplissent et l’élévation du sentiment chez ceux qui en sont les témoins. Par lui-même aucun événement n’est grand. Lors même que des constellations entières disparaîtraient, que des guerres dévastatrices absorberaient des forces immenses, toujours le vent de l’histoire passerait là-dessus, pour tout disperser comme de légers flocons.

Mais il arrive aussi qu’un homme puissant frappe un coup qui tombe sur une roche sans y laisser de trace. On perçoit un écho bref et sonore, puis plus rien. Aussi l’histoire ne sait-elle presque rien dire au sujet de pareils événements, dont l’effort a été pour ainsi dire brisé. Celui qui est capable de prévenir un événement se demande donc avec inquiétude si ceux qui vont y assister en seront véritablement dignes. Dès que l’on agit, aussi bien dans les grandes que dans les petites choses, on compte toujours que la réceptivité correspondra à l’action. Que celui qui veut donner veille à trouver des preneurs qui soient capables de comprendre quel est le sens de ses dons. L’acte isolé, fût-il même celui d’un grand homme, est dépourvu de grandeur, lorsqu’il est bref, émoussé et stérile ; car, au moment même où cet homme l’a accompli, il ne possédait certainement pas