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AURORE

31.

La fierté de l’esprit. — La fierté de l’homme qui se rebiffe contre la doctrine de la descendance des animaux et qui établit entre la nature et l’homme un grand abîme — cette fierté trouve sa raison dans un préjugé sur la conformation de l’esprit, et ce préjugé est relativement récent. Durant la longue période préhistorique de l’humanité, on supposait que l’esprit était partout et l’on ne songeait pas du tout à le vénérer comme une prérogative de l’homme. Parce que l’on considérait tout au contraire le spirituel (ainsi que tous les instincts, les malices, les penchants) comme appartenant à tout le monde, comme étant, par conséquent, d’essence vulgaire, on n’avait pas honte de descendre d’animaux ou d’arbres (les races nobles se croyaient honorées par de pareilles légendes), l’on voyait dans l’esprit ce qui nous unit à la nature et non ce qui nous sépare d’elle. C’est ainsi que l’on était élevé dans la modestie, — et c’était aussi par suite d’un préjugé.

32.

Le sabot d’enrayure. — Souffrir moralement et apprendre, par la suite, que cette espèce de souffrance repose sur une erreur, c’est là ce qui révolte. Car il y a une consolation unique à affirmer, par sa souffrance, « un monde de vérité » plus profond que ne l’est toute autre espèce de monde,