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AURORE

448.

Honorer la réalité. — Comment peut-on regarder cette foule populaire en jubilation sans larmes et sans applaudissements ! Nous songions autrefois avec mépris à l’objet de leur joie et il en serait encore ainsi, si nous n’avions pas vécu nous-mêmes ces joies ! À quoi les événements peuvent-ils donc nous entraîner ! Que sont nos opinions ! Pour ne pas se perdre, pour ne pas perdre la raison, il faut fuir devant les événements. C’est ainsi que Platon s’enfuit devant la réalité et ne voulut plus contempler des choses que les pâles images idéales ; il était plein de sensibilité et il savait combien facilement les vagues de la sensibilité passaient sur sa raison. — Le sage devrait par conséquent se dire : « Je veux honorer la réalité, mais lui tourner le dos, parce que je la connais et que je la crains ? » — il devrait agir comme certaines peuplades africaines devant leur souverain, ces peuplades qui ne s’approchent qu’à reculons et qui savent montrer leur vénération en même temps que leur crainte ?

449.

Où sont ceux qui ont besoin de l’ esprit ? — Hélas ! comme il me répugne d’imposer à un autre mes propres pensées. Je veux me réjouir de chaque pensée qui me vient, de chaque retour secret qui s’opère en moi, où les idées des autres se font valoir contre les miennes propres ! Mais, de temps en temps, survient une fête plus grande encore, lorsqu’il est permis de répandre son bien spirituel,