Page:Nietzsche - Aurore.djvu/146

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
AURORE

tude du jeu de nos forces, ou bien la petite impulsion d’une personne que nous craignons, vénérons ou aimons, ou bien encore la nonchalance qui préfère exécuter ce qui est sous la main, ou bien enfin l’éveil de l’imagination provoqué au moment décisif par un petit événement quelconque — alors agit aussi l’élément corporel qui se présente sans que l’on puisse le déterminer, ou encore l’humeur du moment, le saut d’une passion quelconque qui est, par hasard, prête à sauter : en un mot, des motifs agissent que nous connaissons mal ou que nous ne connaissons point, et que nous ne pouvons jamais faire entrer d’avance dans notre calcul. Il est probable qu’entre eux aussi il y ait une lutte, un chassé-croisé, un soulèvement et une répression d’unités — et c’est là ce qui serait la véritable « lutte des motifs » : — quelque chose qui, pour nous, est tout à fait invisible et inconscient. J’ai calculé les successions et les succès et j’ai rangé ainsi un instinct très important dans l’ordre de bataille des motifs, — mais cet ordre de bataille je l’établis tout aussi peu que je le vois : la lutte elle-même est cachée et la victoire, en tant que victoire, également ; car j’apprends bien ce que je finis par faire, mais je n’apprends pas quel est le motif qui finalement a été victorieux. Nous sommes, en effet, habitués à ne pas faire entrer en ligne de compte tous ces phénomènes inconscients et à ne nous imaginer la préparation d’un acte qu’en tant qu’elle est inconsciente : et c’est pour quoi nous confondons la lutte des motifs avec la comparaison des conséquences possibles de différentes actions, — une des confusions les plus