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Et comment supporterais-je d’être homme, si l’homme n’était pas aussi poète, devineur d’énigmes et rédempteur du hasard !

Sauver ceux qui sont passés, et transformer « tout ce qui était » en « ce que je voudrais que ce fût » ! — c’est cela seulement que j’appellerai rédemption !

Volonté — c’est ainsi que s’appelle le libérateur et le messager de joie : C’est là ce que je vous enseigne, mes amis ! Mais apprenez cela aussi : la volonté elle-même est encore prisonnière.

Vouloir délivre : mais comment s’appelle ce qui enchaîne même le libérateur ?

« Ce fut » : c’est ainsi que s’appelle le grincement de dents et la plus solitaire affliction de la volonté. Impuissante envers tout ce qui a été fait — la volonté est pour tout ce qui est passé un méchant spectateur.

La volonté ne peut pas vouloir agir en arrière ; qu’elle ne puisse pas briser le temps et le désir du temps, — c’est là la plus solitaire affliction de la volonté.

Vouloir délivre : qu’imagine la volonté elle-même qu’imagine-t-elle pour se délivrer de son affliction et pour narguer son cachot ?

Hélas ! tout prisonnier devient un fou ! La volonté prisonnière, elle aussi, se délivre avec folie.

Que le temps ne recule pas, c’est là sa colère ; « ce qui fut » — ainsi s’appelle la pierre que la volonté ne peut soulever.

Et c’est pourquoi, par rage et par dépit, elle soulève des pierres et elle se venge de celui qui n’est pas comme elle rempli de rage et de dépit.