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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS.

ryski fut obligé de vendre, ainsi que les terres environnantes, à l’impératrice pour son favori Zoritz. Cet amant disgracié de Catherine y fait sa résidence, opprime les juifs et les chrétiens, et vit avec une ostentation que rien n’égale. Il y a fondé un petit corps de cadets, entretient un théâtre italien, voit un monde infini, boit, mange, joue, s’ennuie toujours, et est peut-être le plus malheureux des hommes. L’impératrice l’adorait : enflé de son bonheur, il eut l’imprudence de se brouiller avec Potemkin de tirer l’épée contre lui et de le poursuivre en présence même de la souveraine. L’ascendant de Potemkin sur l’esprit de Catherine se trouva plus puissant que n’étaient les charmes de sa maîtresse : Zoritz fut pour toujours exilé dans sa terre. Là, nageant dans l’opulence, plongé dans la débauche et le luxe, il soupire après les faveurs perdues, et, quoique l’impératrice ait vingt fois depuis changé d’amant, il se flatte toujours que son tour viendra encore, et cette idée tourmente et soutient également sa languissante existence.

Le hasard a voulu que Korsakow, successeur de Zoritz, et comme lui renvoyé au bout d’un an, reçût des terres confisquées à des Polonais, tout près de celles de son camarade de galanterie. Tous deux, monuments des vicissitudes de l’amour, il était naturel qu’ils vécussent dans la