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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS.

famille et en avait reçu des politesses, il n’y fit aucune difficulté. Ma sœur arriva vers le soir, accompagnée de son époux et de ses deux enfants. Ayant consacré tout mon temps aux affaires publiques, je ne l’avais point encore vue depuis son mariage. On conçoit facilement l’émotion, l’attendrissement que nous causa notre entrevue. Quelques années auparavant, ni moi, ni elle, nous ne prévoyions guère de nous rencontrer dans un moment aussi déplorable. Elle voulait panser ma plaie ; mais, la sachant enceinte, je ne le lui permis pas. Elle m’apporta un lit complet, dont je ne pus prendre que deux oreillers et quelques draps ; elle voulait me donner de l’argent, mais, prisonnier, j’en avais moins besoin qu’elle ; je la conjurai donc de ne pas insister auprès de moi sur ce point. Les officiers étaient toujours présents à nos conversations ; nous causâmes cependant beaucoup de notre famille et de nos affaires. Son mari était un bel homme et qui plus est, bon époux ; ses enfants, l’un ayant à peu près six ans et l’autre quatre, étaient beaux comme des amours. Ayant passé le reste de la journée ensemble, nous nous quittâmes, hélas ! peut-être pour jamais. Deux jours après, mon cousin Stanislas m’écrivit sous l’enveloppe de Chruszczew : il me mandait que mes frères avaient fui, que dans la terreur et la ruine générale, il ne pouvait