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— Ce que devient Alméric ? Vraiment vous devez le savoir mieux que moi ; car il passe, dit-on, sa vie chez madame de Verseuil.

— C’est impossible, avait répliqué vivement Gustave ; je sais qu’il ne met point les pieds chez elle, et c’est pour se venger de n’y point être reçu qu’il se vante d’y passer sa vie. Je reconnais bien là son incorrigible fatuité.

— Pourquoi vous emporter ainsi ; vous ai-je dit qu’il lui fît la cour ?

— Mais s’il est toute la journée chez elle ?

— Ne peut-il y venir pour lui parler de vous ? Sans doute il n’ignore pas plus que tout Paris la folie que vous allez faire, ajouta M. de Léonville, et je ne pense pas qu’il ait envie de se brouiller avec vous pour le mince avantage d’inscrire sur sa liste une femme de plus. D’ailleurs je répondrais de madame de Verseuil en cette circonstance ; car si je n’ai pas pour elle autant d’estime que vous, je la crois incapable de vous trahir… si tôt.

— Voilà une justification pleine d’avenir ; mais n’importe, ajouta Gustave d’un ton amer. Comme les jugements portés sur les gens que l’on ne connaît pas ne sauraient être des arrêts irrévocables, j’espère que vous reviendrez bientôt sur ceux que vous prononcez si légèrement aujourd’hui.

Et, changeant de conversation, Gustave fit tous ses efforts pour cacher le trouble qu’un seul mot venait de jeter en son âme.

Depuis plusieurs mois, je m’apercevais que mon maître évitait les occasions de me parler de madame de Verseuil : Cette discrétion m’avait fait présumer que ses sentiments pour elle étaient un peu plus raisonnables ; mais je fus bien désabusé de cette erreur en le voyant tout à coup passer de la tristesse silencieuse à tous les transports de la jalousie. La mélancolie se passe de confident, le malheur en réclame ; et, dès que Gustave se sentit livré à la torture des soupçons, il éprouva le besoin de me confier son tourment. Je fus effrayé du ravage que ce mal affreux avait déjà fait dans son cœur, et je le blâmai vivement de s’abandonner ainsi à des idées de trahison sur le simple rapport d’une personne mal instruite.