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sûr d’y trouver un asile contre les persécutions de la sottise, et de pieux secours contre les fureurs de l’esprit de parti. Cette noble protection pour le malheur a fait de tous temps, comme elle le dit elle-même, de sa maison l’hôpital des partis vaincus. On y voyait la réunion des opinions et des talents les plus opposés. L’émigré s’y trouvait à côté du républicain ; l’ambassadeur auprès du journaliste ; le général patriote près d’un officier de la Vendée ; et tous ces intérêts, ces esprits ennemis, subjugués par la philosophie entraînante de cette femme supérieure, imitaient sa tolérance, et, loin de l’affliger par de vaines querelles, se réunissaient pour l’entendre et l’admirer.

Son livre sur l’influence des passions venait de paraître. Cet éloquent traité des maladies de l’âme, où chacun retrouve son infirmité, devait être apprécié par Gustave ; aussi ne se lassait-il point de le relire, de le citer. M. de Saumery, le voyant un jour si enthousiasmé de cet ouvrage, lui proposa de le présenter chez l’auteur.

— Moi ! dit Gustave, comme frappé d’une proposition téméraire, moi, indigne, me présenter devant un génie pareil ! Eh ! que deviendrais-je, mon Dieu ! si madame de Staël daignait m’adresser la parole ?

— Vous lui répondriez aussi facilement qu’à votre mère. Habitué, comme vous l’êtes, à la simplicité des gens d’esprit, pourquoi auriez-vous peur de l’esprit le plus bienveillant qui soit au monde ?

— Mais, pour compter sur cette bienveillance, il faudrait au moins que madame de Staël sût à quel point je l’admire.

— Cela n’est pas nécessaire. Sa bonté s’étend jusque sur les personnes qui ne sauraient la comprendre, et je ne lui connais de dédain que pour les gens affectés.

— L’embarras ressemble quelquefois à l’affectation.

— Ce n’est pas elle qui s’y trompe, reprit M. de Saumery ; et lors même que cet embarras vous ferait faire mille gaucheries, elle vous les pardonnerait plutôt qu’une froide exagération.

— Vraiment, j’aurai bien plutôt à me défendre du défaut contraire ; car je n’oserai jamais lui témoigner mon enthou-