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— Il est vrai, répondis-je en secouant la tête. L’affaire est délicate ; et peut-être feriez-vous bien de consulter à ce sujet quelque ami dont l’expérience vous servirait de guide : M. de Léonville, par exemple.

— Non. Je le connais : son amitié pour ma famille lui ferait craindre pour moi les suites d’une union formée sous de tels auspices. Il chercherait à m’en détourner, sans penser que l’honneur m’en fait un devoir ; et nous aurions à ce sujet des discussions aussi désagréables qu’inutiles. Mon parti est pris. Je prévois toutes les résistances qu’il faudra braver pour le maintenir ; mais je ne saurais être heureux qu’en sacrifiant tout à la femme qui a tout sacrifié pour moi. Chacun entend son bonheur à sa guise ; et je sens que j’endurerais fort impatiemment les discours qui tendraient à me prouver que j’ai tort d’agir selon mon cœur.

Je pris ma part de cette déclaration, et ne répliquai rien ; mais, comme cette manière d’imposer silence est celle qu’on emploie d’ordinaire pour s’épargner d’entendre les raisonnements qu’on se fait à soi-même, j’en conclus que mon maître ne se dissimulait aucun des inconvénients attachés à sa résolution, et je le plaignis sincèrement de ne plus voir, dans son amoureuse folie, que l’accomplissement d’un devoir.

J’allais retrouver à Paris mes camarades, ma gentille Louise, et je fis promptement la route, malgré les paysans qui m’arrêtaient à chaque village pour me demander des nouvelles de l’armée. Elles étaient alors si belles à raconter, que le peuple ne se lassait pas de les entendre ; mais je me contentais de dire à chaque relai : Mantoue est prise ; Bonaparte est vainqueur ; l’Italie est à nous ; vive la République ! et je repartais au galop.

J’étais à moitié mort de fatigue en arrivant chez M. de Léonville. Il me reçut comme le porteur d’une bonne nouvelle, me fit donner à déjeuner, et un bon lit pour me reposer pendant qu’il irait voir madame de Révanne. Cinq heures après, on eut bien de la peine à m’éveiller pour me dire de me rendre sur-le-champ chez elle. Je la trouvai sous le péristyle du grand escalier. Elle était venue au-devant de moi jusque-là pour me surprendre et ne pas me donner le temps de compo-