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— C’est ici la cuisine, et là le salon ; mais, si vous voulez voir la petite chambre de M. Rousseau, il faut monter ici-dessus.

Nous prîmes alors la rampe d’un escalier intérieur construit en pierres de taille, et dont les marches usées vers le milieu forment une espèce de sillon, où l’on aime à suivre les pas de Jean-Jacques. Sur le premier palier est la porte extérieure qui donne sur la petite esplanade où se trouvait le cabinet de houblon. Ce cabinet n’existe plus, mais le noyer qui ombrage encore la place invite à s’y reposer, et l’on sent que, dans ce lieu retiré, il faut parler de son cœur, ou se taire.

En reprenant l’escalier, on arrive à la chambre de madame de Warens. Elle est assez grande, et bien éclairée par deux fenêtres, d’où l’on découvre une vue étendue et fort agréable. En face de la cheminée est une porte qui s’ouvre sur une petite chambre carrée, avec une seule fenêtre donnant sur le verger, et une seconde porte ouvrant sur le corridor. C’est là, c’est dans ce modeste réduit que Rousseau prétend avoir passé les seuls moments qui lui donnent le droit de dire qu’il a vécu. Je ne sais si quelque chose de ce bonheur est resté dans cette retraite ; mais en considérant la place où était le lit de Jean-Jacques, le site charmant qui réjouissait chaque matin ses regards, les deux planches clouées sur les murs, unique bibliothèque de celui dont les livres devaient un jour orner les plus belles ; en voyant cette petite porte donnant sur la chambre d’une amie, je pensais qu’ainsi logé, je serais fort heureux. Je repassais dans ma tête la jeunesse de Rousseau : je le voyais valet comme moi ; je me supposais un génie tel que le sien, et je ne cherchais plus qu’une madame de Warens, pour mette à profit mes talents, et partager avec elle la plus douce existence.

La vieille Marion me tira de ce rêve charmant, et me conduisant dans une petite chapelle intérieure, où l’on avait, réuni tous les ornements de celle fondée par madame de Warens. Je lui demandai si elle se rappelait quelque chose du caractère de la fondatrice.

— Rien, dit-elle, si ce n’est qu’elle était fort charitable.