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n’est tant calomniée que parce qu’elle est plus jolie et plus spirituelle qu’une autre.

— Dieu me garde de l’insulter ; je suis toujours prêt à convenir de tous les charmes et de toutes les vertus que les amants trouvent à leurs maîtresses ; mais, eût-elle toutes celles que tu lui supposes, tu ne m’empêcherais pas de penser que si son mari s’est porté envers toi à quelque insulte grave, c’est qu’il te croit le premier, l’unique amant de sa femme, et qu’il se flatte que, sans toi, elle lui serait encore fidèle. Quand il saura que tu es fort innocent de ses premières fautes, et qu’il pourrait aussi bien s’en prendre à plusieurs de ses amis qu’à toi, il reviendra à la bonne opinion qu’il avait de ton caractère, et vous finirez peut-être par être le mieux du monde ensemble.

— Jamais, reprit Gustave ; je l’ai trop offensé pour lui pardonner mes torts et ma honte. Ah ! mon cher J…, tu ne connais pas le supplice de se sentir coupable envers l’homme qui nous protégeait. L’idée d’avoir troublé pour toujours le repos de ce vieux militaire, qui m’appelait son fils, d’avoir échangé son amitié, son estime contre sa haine et son mépris, me rend la vie insupportable. Il faut qu’il m’en délivre.

— Mais s’il ne veut pas t’assassiner ?

— Eh bien, nous nous battrons.

— Le général en chef vous le défend.

— Comment ! il sait ?… dit Gustave en rougissant.

— Oui, il sait tout ; mais, en blâmant ta conduite scandaleuse, il récompense tes exploits, et prétend qu’un chef de brigade doit donner l’exemple de la subordination. Ainsi donc, obéis, si tu veux commander, et mets de côté tes petits intérêts personnels pour ne songer qu’à ceux de l’armée. Eh ! qui pourrait flétrir l’honneur qu’on t’accorde aujourd’hui ? C’est toi qui es choisi pour accompagner Bessières ; c’est toi qui porteras à Paris les drapeaux que va nous livrer Mantoue.

— Ah ! mon ami, je vais revoir ma mère !

Et il se jeta au cou de J…

Le ressentiment, la tristesse cédèrent à l’espérance d’embrasser bientôt cette mère chérie. Gustave, assuré d’un tel bonheur, pouvait braver tous les ennuis de sa situation, et