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être arriver lui-même avant de se rendre à Peschiera. Athénaïs en était instruite, et ne savait comment en faire prévenir Gustave, ou bien il était arrivé quelque accident à Julie, toutes ces craintes assez raisonnables s’en joignait une autre qui le transportait de fureur ; et c’est quand il succombait l’idée d’être en ce moment même sacrifié à un rival, qu’il se sentit prendre le bras par une femme.

— Vous m’attendez depuis longtemps, n’est-ce pas ? dit-elle ; je n’ai pu venir plus tôt. Le major n’est parti que tout à l’heure pour aller avertir le général de l’arrivée de madame et sa belle-sœur est restée si longtemps chez nous à bavarder sur mille sujets, que j’ai cru qu’elle ne nous débarrasserai jamais de sa présence. Elle voulait à toute force veiller près de madame, sous prétexte qu’elle lui trouvait le visage altéré et l’air d’une personne qui dissimule une vive souffrance. Le fait est que madame paraissait fort mal à son aise ; mais elle a tant répété à madame d’Olbiac qu’elle n’avait besoin que du repos, qu’enfin elle s’est décidée à nous laisser.

Mademoiselle Julie pouvait parler ainsi pendant une éternité sans que mon maître pensât à l’interrompre ; le cœur lui battait si vivement, qu’il n’aurait pu proférer une parole ; mais tout en écoutant Julie, il se laissa conduire vers la petite porte d’un jardin, où l’ayant fait entrer, elle lui dit :

— Asseyez-vous sous ces tilleuls ; je vais voir si tous nos gens sont retirés, et si vous pouvez, sans risque d’être rencontré, arriver jusqu’à la chambre de madame ; comme avant d’y parvenir, il nous faut passer devant la porte de madame d’Olbiac, je tremble que cette duègne ne soit aux aguets, et je veux la surveiller à mon tour. Dans peu de moments, je reviendrai vous prendre, ou l’on viendra vous trouver.

Ô vous qui avez attendu ainsi, rappelez-vous cette agitation qui fait presque un tourment d’une trop vive espérance, ces tressaillements que fait éprouver une feuille qui tombe, un oiseau qui voltige, ou le moindre zéphir qui vient agiter le feuillage protecteur ! Ah ! ces moments de crainte et d’espoir l’emportent quelquefois sur ceux du bonheur même, et il n’est point de cœurs ingrats pour de tels souvenirs !