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frances, et le fond de tristesse qu’il portait avec lui, tout contribuait à lui ôter l’appétit et la santé. Cependant on allait se battre, et il fallait prendre des forces : c’est ce que lui représenta Bernard dans son langage burlesque.

— Morbleu ! mon capitaine, lui disait-il, buvez et mangez mieux que cela, sinon, tout brave que vous êtes, je ne réponds pas de vous ; car il n’y a pas de bon soldat l’estomac vide. Notre métier a cela d’agréable, qu’il ne permet pas d’être triste ou malade : il faut toujours être en train. C’est quelquefois difficile. Tenez, par exemple, le jour où nous avons si bien frotté les Autrichiens à Millesimo, j’avais appris le matin même la mort de ma pauvre sœur, de cette pauvre Marie, qui m’aimait tant. Cette nouvelle-là m’a mis un boulet de vingt-quatre sur la poitrine, et je restais sous le coup, quand le bruit du canon est venu me réveiller en sursaut. Allons, allons, me suis-je dit, la patrie ne s’embarrasse pas de ça : faisons notre devoir, et puis nous pleurerons après. Là-dessus, j’ai avalé un verre de rhum, et j’ai marché à la fête. Mon capitaine, faites-en autant, et ne vous laissez pas entamer par la tristesse. Ah bien ! si le général en chef vous voyait avec cet air abattu, il ne vous chargerait pas seulement de défendre le plus petit poste ; car, je vous l’ai déjà dit, il regarde le malheur comme la peste, et prétend qu’il se gagne de même. Ainsi, vive la joie ! au diable les souvenirs !

En parlant ainsi, Bernard forçait mon maître à trinquer avec lui ; et Gustave s’efforçait de suivre un conseil qui, dans le fond, lui paraissait assez sage.

À peine arrivé à Brescia, il reçut l’ordre de rejoindre son général qui marchait avec Masséna sur Borghetto. C’est là que, sous le feu de l’ennemi, s’effectua le passage du Mincio ; c’est là que cinquante grenadiers, impatientés de ne pas voir raccommoder le pont assez vite, se jettent à l’eau, tenant leurs fusils sur leur tête, et vont s’emparer les premiers de Valeggio, où se trouvait le quartier général de Beaulieu. Bientôt après, nous prenons Peschiera, et Vérone nous ouvre ses portes.

C’est dans cette journée de Borghetto, où Bonaparte trompa et battit l’ennemi avec tant de talent, qu’un chasseur, s’appro-