Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

don généreux, tout détruisit l’illusion qui faisait palpiter son cœur. Le fantôme de Stephania irrité avait égaré ses esprits ; l’image de Stephania clémente lui rendit avec sa raison le soulagement des larmes. Je profitai de ce moment pour l’accabler de tous ses motifs de douleur ; je lui racontai les détails dont je lui avais fait mystère, et lui rendis sa propre lettre dans l’espoir que le regret de ne la savoir point parvenue lui ferait m’adresser quelques reproches. C’était autant de gagné sur ceux dont il s’accablait. Mais un sentiment d’humeur se mêle-t-il jamais à une peine profonde ? Gustave ne fit pas même de remarque sur ma conduite mystérieuse ; il venait de me montrer le dernier écrit de sa malheureuse amie ; en le lisant des pleurs avaient plus d’une fois obscurci mes yeux ; et son cœur ne me demandait rien de plus. Ah ! qui n’aurait été attendri par ces touchants adieux :

« Tu l’as voulu, je meurs ; pardonne-moi de n’avoir pu attendre que la vérité vint t’éclairer sur ton injustice, pour m’en venger. Ton repentir ne m’aurait pas suffi, c’est ton amour qu’il fallait à ma vie ; c’est pour en être digne que j’ai sauvé les jours de celle qui m’a ravi ton cœur. Mais tu ne m’as jamais aimée ! tu l’as dit ! Après un tel aveu, qui pouvait m’enchaîner au monde ? l’espoir de la frapper ! Ah ! je confesse en avoir conçu l’affreux projet ; je sens qu’en ce moment même où tout retient mon bras, je plongerais ce poignard avec délices dans le sein de ma rivale ; oui, je le sens à la rage qui me transporte encore : j’ai mérité tes soupçons, ta haine ; et si je vivais un jour de plus, je mériterais tous les noms odieux que tu m’as prodigués. Ne plains donc pas ma mort ; elle seule peut me défendre du crime : j’aurais dû, je le sais, expier mes fautes par une plus longue pénitence ; mais le ciel est juste ; et si j’ai manqué au plus saint des devoirs, les tourments inventés par toi m’en ont assez punie… Oui, ton ingratitude me répond de la miséricorde divine. Un ministre du ciel vient de me la promettre.

» — Vous pardonnez, m’a-t-il dit, grâce vous sera faite ; et cependant vous avez attenté à votre vie. Oh ! ma fille, ce péché est irrémissible !…