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C’est avec de telles paroles que Bonaparte enivrait son armée. Les soldats, en les écoutant, brûlaient de réaliser tout ce qu’un si grand capitaine attendait de leur vaillance ; et telle était leur confiance en lui, qu’ils le regardaient comme l’oracle de la victoire.

Au retour de cette revue où mon maître avait accompagné son général, nous nous occupâmes des préparatifs de notre départ. Il n’y avait plus moyen d’en faire mystère dans la maison ; mais Gustave ne se sentant pas le courage de l’apprendre lui-même à madame Rughesi, pria Léonore de se charger de ce soin, et de lui donner exactement des nouvelles de sa cousine. Elle promit aussi de remettre à Stephania, dès que nous serions partis, une lettre dans laquelle Gustave peignait tout ce qu’il lui en coûtait pour obéir à son devoir en s’éloignant d’elle. Mais avant de la quitter, peut-être pour toujours, il voulut revoir encore une fois sa malheureuse amie. Elle était un peu plus calme lorsqu’il vint lui faire tacitement ses adieux : l’idée que ce calme, qui pouvait lui rendre la santé, allait être bientôt troublé par un nouveau chagrin ajouta un tourment de plus à tous ceux qui le dévoraient. Gémissant d’avance sur le malheur qui la menace, il serre sa main, la baigne de ses larmes, et Stephania, touchée de cet excès d’attendrissement, bénit les souffrances et le danger auxquels elle croit devoir un intérêt si doux.

— Tu me plains, lui dit-elle, tu me regrettes peut-être ; ah ! si je pouvais le croire, j’aimerais encore la vie.

— Conserve-la pour moi, s’écrie Gustave, conserve-la pour m’épargner à moi-même la mort la plus affreuse ; jure-moi d’accepter les secours que ton état réclame ; enfin, jure-moi de vivre pour être l’objet de mes plus tendres soins.

Ce serment, demandé avec tant de chaleur, pouvait-il être refusé par celle qui regardait les moindres désirs de Gustave comme des ordres impérieux ! Elle promit tout ce qu’il exigea, et, se sentant ranimée par l’espoir de lui être encore chère, elle consentit à prendre la potion qu’elle avait jusqu’alors refusée ; elle en sentit bientôt l’heureux effet : une douce langueur s’empara de ses sens, et peu à peu elle s’endormit sur le bras de Gustave. Quelle était céleste alors ! Ah ! le