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convulsif qui décelait la pénible agitation de son âme ; et l’on pouvait prévoir que le plus orgueilleux courage ne résisterait pas à cet état violent. Aussi madame de Verseuil essaya-t-elle bientôt de se rapprocher de Gustave, et de mêler à la conversation des mots qui devaient retentir à son cœur. Biais ces mots, loin de l’attendrir, lui paraissaient dictés par l’ironie. Il y répondit par un sourire dédaigneux. Enfin elle s’humilia jusqu’à lui demander s’il n’avait pas encore un roman anglais à lui prêter.

— Depuis que j’ai découvert, dit-il, qu’ils ne renferment que des sentiments faux, je n’en lis plus, madame.

En faisant cette réponse du ton le plus méprisant, Gustave s’éloigna pour rejoindre Stephania, et laissa Athénaïs dans un profond accablement. Bonaparte venait en cet instant lui faire ses adieux. Elle s’efforça de lui sourire et d’insister pour qu’il ne quittât pas si tôt une fête dont il était le héros ; mais d’importantes occupations ne lui permettaient pas d’y rester plus longtemps, et il se retira en exigeant qu’aucun de ses aides de camp ne le suivît. Berthier seul l’accompagna. Avant de partir, il eut un entretien particulier avec M. Rughesi, et le résultat de cette conférence fut qu’une heure après M. Rughesi était en poste sur la route de Venise.

En revenant de conduire le général jusqu’à sa voiture, Gustave chercha des yeux madame de Verseuil. Elle avait disparu. Il pensa d’abord que l’objet de son nouvel intérêt venant d’abandonner le bal, elle s’était empressée de le quitter aussi ; mais ensuite l’idée de l’avoir offensée, et peut-être affligée par une réponse fort dure, vint inquiéter son imagination. Il se reprocha le ton de mépris qu’il y avait joint, et, je ne sais quelle crainte s’emparant de son esprit, il vint, dans la salle où nous étions, demander à mademoiselle Julie si sa maîtresse ne se trouvait pas indisposée.

— Je n’en sais rien, répondit-elle. Madame ne m’a point fait demander. Je l’ai vue seulement passer tout à l’heure dans le jardin.

— Avec quelqu’un, sans doute ?

— Non, monsieur, elle était seule.

— Alors Gustave s’avança sur le perron qui conduisait au