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— Oui, fort belle, et je regrette parfois de ne pouvoir l’aimer, dit Gustave d’un ton pénétré.

— Tranquillisez-vous ; si j’en crois sa complaisance à recevoir vos soins, elle ne tardera pas à les récompenser, et nul regret alors ne troublera votre bonheur.

— Hélas ! mon bonheur ne dépend pas d’elle ! vous le savez.

— Vraiment, je n’en sais plus rien ; un mois d’absence peut opérer tant de changements dans un cœur !

— Le mien n’a pas changé ; mais que dois-je penser du vôtre ?

— Ah ! si vous m’aviez adressé hier cette question, la réponse eût été bien douce et bien facile : aujourd’hui je ne saurais la faire sans crainte de nous tromper tous deux.

— N’importe, essayez ?

— Non ; vous en seriez mécontent.

— C’est m’en dire assez… et je n’insiste plus.

À ces mots, la fierté de Gustave l’emporte sur son ressentiment ; il ne veut plus rien entendre, et, pour mettre fin à cet entretien pénible il ramène Athénaïs vers l’endroit où le sacristain de l’église montrait des reliques au major et aux officiers qui les avaient accompagnés.

Je m’étais glissé avec les gens de ces messieurs, et nous profitions tous de l’éloquence démonstrative du sacristain, qui ne manquait jamais à dire :

— Ici étaient le superbe Christ et les candélabres d’argent qui ont été fondus pour payer aux Français les contributions de notre ville ; là se trouvait la fameuse Madonna della Scodella du Corrége, qui vient d’être livrée au général Bonaparte.

Et le pauvre homme déplorait d’un ton si douloureux l’absence des trésors et des chefs-d’œuvre qui venaient d’être ravis à sa patrie, que j’en étais ému de compassion : et pourtant je ne me doutais guère qu’en payant ce tribut à ses regrets patriotiques, je mériterais un jour la même pitié.

En sortant de ce beau monument gothique, M. Rughesi, qui était venu y rejoindre madame de Verseuil, lui dit tristement que si elle voulait voir ce que Milan renfermait de plus