Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taire ; puis sortant tout à coup de son attitude humble, il prenait l’air indigné d’un homme poursuivi par une calomnie que la prudence ne lui permettait pas de repousse, ouvertement. Fort heureusement pour lui, l’amour-propre d’Athénaïs s’arrêta sur cette pensée. Convaincue qu’une passion inspirée par elle ne pouvait s’éteindre aussi vite, elle ne vit dans l’aventure galante que l’on supposait à Gustave que le plaisir de l’emporter sur une belle rivale ; et l’inquiétude qui se mêle à l’espoir d’obtenir un éclatant sacrifice la rendit encore plus soigneuse de plaire. Alors, feignant un excès de confiance fondé sur la fidélité de ses propres sentiments, et profitant de la sécurité que le soupçon d’une telle intrigue devait naturellement donner à son mari, elle redoubla de manières affectueuses pour Gustave. Combien il fut touché de ce soin délicat, et qu’il aurait voulu pouvoir y répondre, en s’accusant et se justifiant à la fois par l’aveu le plus sincère !

Madame Rughesi, ayant appris l’arrivée de madame de Verseuil, s’empressa de venir lui offrir un logement attenant à celui de son mari ; le major reçut la même politesse, et M. Rughesi ajouta que sa femme serait enchantée de se lier avec madame la générale ; ce qui fit trembler Gustave, et sourire Athénaïs. Dans cette visite, M. Rughesi parla de son prochain départ pour Venise, et de l’arrivée du commandeur d’Est[1], envoyé par son frère, le duc de Modène, vers le général Bonaparte, pour solliciter de lui une suspension d’armes. M. Rughesi avait été choisi, avec deux autres magistrats de Milan, pour aller supplier, au nom de leur ville, le duc de Modène, alors retiré à Venise, de céder aux conditions imposées par le général français ; et, comme ces conditions étaient fort dures, il ne se flattait pas d’y faire accéder le souverain le plus avare de toute l’Italie. Il raconta à ce sujet l’entretien qui avait eu lieu le matin même entre le commandeur d’Est et Bonaparte, dans lequel celui-ci, parlant en républicain, commandait en roi, et l’autre, en parlant en prince, s’humiliait en esclave, opposant sans cesse les droits de sa naissance à ceux de la

  1. On sait que ce frère du duc de Modème était fils d’une Française, danseuse à l’Opéra.