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Pour mettre fin à ces désordres, on fusillait les maraudeurs. Cette mesure sévère me rendit le témoin d’un fait assez remarquable pour le citer.

Un sapeur du 5e bataillon, nommé Latouche, homme brave, loyal, et que l’ivresse seule pouvait porter à de coupables excès, venait d’être condamné à être fusillé pour crime de maraude. Le général Verseuil, qui prenait un vif intérêt à ce pauvre homme, se transporte aussitôt à sa prison, et le trouve écrivant des adieux si touchants à ses camarades, qu’espérant obtenir sa grâce à la faveur de cette lettre, il y joint un mot de sa main, et dépêche Gustave auprès du général en chef pour la lui remettre en toute hâte. Bonaparte passait la revue d’une partie de ses troupes. Mon maître arrive au galop, montre qu’il est porteur d’une missive importante ; on lui fait place, il donne la lettre, et il respire à peine tout le temps qu’il la voit lire. Chaque mouvement de la physionomie du général lui annonce la grâce ou l’arrêt du malheureux sapeur ; et il se flatte un moment de voir l’attendrissement l’emporter sur la sévérité militaire. Enfin, après avoir lu, Bonaparte dit :

— C’est bien ; l’exemple en sera plus frappant.

Puis, se tournant vers Gustave :

— Dites à votre général que ce qu’il demande est impossible. La mort de cet homme en épargnera beaucoup d’autres.

Alors il s’avança au milieu des soldats, et, après leur avoir expliqué en peu de mots les délits qui conduisaient Latouche au supplice, il fit à haute voix la lecture de ses adieux touchants :

« Vous voyez, mes camarades, à quel sort je suis réduit ! Et toi, commandant du détachement, si tu m’eusses défendu d’aller à la maraude, je ne serais pas exposé à la mort que je Tais subir. Adieu, mes camarades, adieu ; Latouche, les larmes aux yeux, ne regrette en quittant la vie que de ne pas mourir en défendant la patrie, et ne se console que dans l’espoir que sa mort servira d’exemple à ses défenseurs. »

L’impression que produisit cette lettre justifiait assez la sévérité de Bonaparte, et le bon ordre qui en résulta ne laisse