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pendant, un sourire plus affecté que gracieux tempérait souvent l’air sévère de cette figure, où se peignait le combat continuel d’une méfiance insurmontable et d’une extrême politesse. Sa taille était moyenne. Le désir d’y ajouter quelque chose lui faisait tenir la tête fort élevée ; et cette attitude lui aurait donné quelque apparence de franchise, si ses yeux, sans cesse occupés à épier autour de lui, lui eussent permis de regarder quelquefois les gens en face ; mais tout trahissait son caractère inquiet et jaloux. Du reste, brave et prudent, sa conduite à l’armée lui avait acquis l’estime générale. Il y était craint sans être haï ; mais plus respecté qu’aimé. Il sentait qu’auprès des républicains, sa qualité d’ancien gentilhomme, d’officier d’un régiment royal, devait le rendre suspect ; et, tout en accordant à l’ancien régime des regrets fort sincères, il se sacrifiait aux intérêts du nouveau avec tant de zèle, que l’on ne pouvait soupçonner ses véritables opinions. Je les découvris pourtant ; mais j’en dus tout le mérite à ma place. À force d’entendre raconter au général ses aventures de l’École militaire, ses folies de garnison, les dettes qu’il contractait, et ses ruses pour les faire acquitter à son père, les honneurs que lui rendaient ses vassaux, et l’histoire galante des femmes qu’il avait connues, je conclus sans peine qu’il était vain de sa naissance, un peu fat, très-despote dans ses volontés, et, qu’avec ce caractère, il devait tout naturellement regretter un état de choses où ces défauts de bon ton étaient également protégés par les lois et la mode.

Après une jeunesse toute consacrée à ses devoirs militaires et aux petits intérêts du monde, M. de Verseuil conçut le projet de se marier pour ramener dans sa maison les plaisirs et les amis qui commençaient à le fuir. Son goût pour les jolies femmes le mettait dans la nécessité d’en prendre une sans fortune : il la choisit dans ce troupeau charmant que la pauvreté honnête livre à la vieillesse opulente ; et la jeune Athénais, ravie de quitter le retraite où la modicité du revenu de sa tante la condamnait à vivre, reçut avez joie l’hommage qui la délivrait de l’affreuse inquiétude de ne point trouver un mari, et de voir sa beauté se flétrir sans avoir jamais été proclamée.