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suffi pour tromper une maîtresse, un jaloux, ne pouvait abuser une mère. Il ne fallait que jeter les yeux sur celle de Gustave, pour deviner à son abattement, à sa feinte gaieté, que son cœur était dans la confidence. Cependant elle s’efforçait de paraître dupe des soins que prenait son fils pour lui épargner de pénibles adieux. Dans le dessein de maintenir son courage, elle avait rassemblé ce jour-là même un grand nombre de personnes à dîner : elle s’était flattée que leur présence l’aiderait à dissimuler ses inquiétudes, sans prévoir que leur conversation ne ferait que les augmenter ; car on ne s’occupait alors que de l’ouverture de cette brillante campagne qui devait placer la France au plus haut degré de puissance et de gloire ; les uns prétendaient que tenter de s’opposer à la marche de trois cents mille hommes, et avec un poignée de Français, c’était envoyer gratuitement de braves gens à la mort ; d’autres espéraient des miracles en notre faveur ; mais tous s’accordaient pour dire que, succès ou non, il fallait s’attendre à perdre bien du monde dans une entreprise si audacieuse. À chacun de ces discours on voyait pâlir madame de Révanne. M. de Léonville s’étant aperçu du malaise qu’elle en éprouvait, rompit brusquement la conversation en demandant à M. Ginguené quelques détails sur la première séance publique qui venait d’avoir lieu à l’Institut. C’était s’adresser au littérateur le plus en état d’en rendre un compte fidèle ; car le bon goût et l’impartialité qui faisaient le fond de ses jugements, leur donnaient un grand poids dans le monde, où ses opinions modérées n’étaient pas moins estimées que ses connaissances littéraires.

— Il paraît, lui dit M. de Léonville que le gouvernement a voulu donner un grand éclat à cette solennité ! Le directoire exécutif, accompagné de tous les ministres, s’y est, dit-on, rendu en grand costume et avec une escorte nombreuse ?

— Et nous avions de plus, répondit M. Ginguené, les ambassadeurs d’Espagne, de Suède, de Danemarck, de Prusse, de Toscane, de Hollande, des États-Unis, de Gènes et de Genève ; je vous avoue qu’en voyant cette assemblée imposante, j’ai pensé qu’il serait bien difficile de captiver l’attention de tous ces grands personnages ; cependant, rassuré par la supério-