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nos soutiens, ou du moins rendez-nous ces moyens de subsistance qu’ils avaient amassés pour nous, et que nous n’avons pas mérité de perdre. »

Ce discours touchant, prononcé avec autant de chaleur que de noblesse, avait pénétré jusqu’aux cœurs les plus inaccessibles. Les mots pitié, justice, si longtemps bannis de cette tribune encore retentissante des cris de haine, de proscription et de vengeance, avaient produit l’effet magique qu’opère quelquefois la générosité sur la colère. Les plus impitoyables se sentirent désarmés ; et plusieurs d’entre eux, jaloux du bonheur que semblait éprouver l’orateur en plaidant une si belle cause, voulurent essayer aussi du plaisir attaché à une bonne action ; leurs voix si souvent fatales à l’innocence se réunirent enfin pour la protéger ; et la France obtint ce décret bienfaisant qui devait rendre l’existence à tant de familles désolées, et placer le nom de M. Doulcet de Pontécoulant à la tête de ceux que la reconnaissance publique consacre à la postérité.

En entrant dans la salle du conseil des cinq-cents, je fus d’abord frappé du contraste qu’offrait la tenue de cette assemblée avec celle de la Convention, où la plupart des députés, vêtus d’une carmagnole[1], gesticulant et criant tous à la fois, donnaient plutôt l’idée d’une émeute populaire que d’une représentation nationale ; je me souvenais encore d’avoir assisté peu d’années auparavant dans cette même enceinte à une certaine séance où j’avais entendu le président, chargé de recevoir une grande députation, lui adresser du ton le plus solennel, un discours qui commençait par ces mots : — Jeunes sans-culottes[2] ! La gravité du président en prononçant ces paroles burlesques, et l’air satisfait de ceux qui se voyaient honorer

  1. Espèce de vêtement composé d’une veste courte et d’un large pantalon.
  2. C’est vers le même temps qu’Anacharsis Clootz, surnommé l’Orateur du genre humain, dit à la barre de l’assemblée législative : mon cœur est français, mais mon âme est sans-culotte. C’est par cette profession de foi éloquente qu’il termina son discours de remercîment à l’assemblée qui venait, par décret, de le déclarer citoyen français.