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Cette noce ne fut pas célébrée par d’ennuyeux discours, de plats couplets, ou des odes de commande. Le marié n’avait pas alors de quoi payer les flatteurs ni les poëtes ; et l’on s’en tint à lui parler sincèrement des vœux qu’on formait pour son bonheur et sa gloire. L’époque de son départ était déjà fixée ; Gustave me prévint que le nôtre suivrait de près celui du général, et qu’il fallait en faire tous les préparatifs d’avance, pour en cacher le moment à sa mère. Alméric, dont le congé devait bientôt expirer, sollicitait son ami d’employer le peu de temps qui leur restait à visiter tous les lieux intéressants qui attiraient la foule ; et il fut décidé que dès le lendemain il conduirait Gustave à une séance de l’Athénée. Mon jeune maître n’avait pas grande idée de cette fête ; mais M. de Norvel lui ayant affirmé qu’on s’amusait presque autant dans ces assemblées qu’à la représentation des Femmes Savantes de Molière, il accepta la partie.

Loin de se repentir de sa complaisance, il en fut bien récompensé par tout ce qu’il vit d’étrange dans ce salon rempli de beaux esprits. C’était le temple des prétentions et de la médiocrité ; une tribune semblable aux tables des jongleurs était l’autel sacré où M. D… V… L… Ch… etc., etc., etc., immolaient sans pitié le bon sens, le bon goût à leurs divinités protectrices. L’un, en vers patelins, chantait ses goûts champêtres ; l’autre, dans une épître légère, invoquait, en minaudant, la mort, et lui demandait de vouloir bien adoucir pour lui l’effet de son aspect, en venant le chercher avec des gants couleur de rose ; celui-là, d’un visage à faire fuir les amours, accablait le public du récit des faveurs de sa belle ; celui-ci, plus modeste, réclamait l’attention générale pour un de ses amis dent la muse intrigante venait de s’évertuer à propos du poëme de l’Imagination de l’abbé Delille, et d’adresser à cet aimable poëte une épître amphigourique que terminaient ces deux vers en l’honneur du genre humain.

    Aveugle et vil troupeau dont l’âme appesantie
    Se traîne obscurément, et meurt toute sa vie.

La partie de cet aveugle et vil troupeau, qui écoutait cette