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— Son vieux mari.

— C’est un malheur cela, mais ce n’est point un crime.

— Ah ! monsieur, ce malheur-là mène à tout.

— Eh bien, qu’est-ce que cela te fait ?

— Comment voulez-vous que je prévoie sans frémir, dis-je avec emphase, les combats que va livrer l’amour à cette tendre victime de l’avarice ; car c’est toujours la tyrannie des parents qui forme de semblables unions. Que de séductions à fuir, de menaces à braver, de sentiments à contraindre ! Encore si la victoire récompensait tant de peines !

— Quel accès de morale ! Est-ce à l’orchestre du théâtre Feydeau que tu as puisé tout cela ?

— Il s’y disait vraiment des choses tout aussi sages. Par exemple, on trouvait que madame de Verseuil, malgré son air modeste, regardait un peu trop tendrement un jeune homme placé dans une loge en face de la sienne.

— Allons, tu plaisantes.

— Non, je vous le jure ; on allait même jusqu’à prétendre que de tels regards étaient trop encourageants pour n’être pas compris ; et de bonnes âmes s’apitoyaient déjà sur le sort de cet honnête mari.

— Garde-toi bien de répéter ces folies ; elles pourraient me devenir funestes ; car tu sauras que le général B***, qui vient d’être nommé commandant en chef de l’armée d’Italie, m’a recommandé particulièrement au général Verseuil, et que je vais lui être attaché ; devine à quel titre ?

— Ah ! je ne le devine que trop. Le pauvre homme !

— Trêve de mauvaises plaisanteries ; j’ai été porté ce matin même sur la liste de ses aides de camp ; et c’est en cette qualité que je ferai demain ma première visite à sa femme. On la dit fort aimable.

— Et gardée avec toutes les précautions de la jalousie.

— Cependant je l’ai vue l’autre soir au bal de Richelieu ; Alméric en paraissait fort occupé ; je sais qu’elle lui a demandé mon nom, et qu’après le lui avoir dit, il lui a confié avec mystère que j’étais passionnément amoureux de madame T*** : je ne comprends pas trop le motif de ce mensonge.

— C’est une malice qui tournera contre lui, j’en suis certain ;