Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

besoin de toute la sensibilité qui caractérisait son talent pour tempérer un peu l’impatience du public, qui ne respirait qu’après l’instant où paraîtrait Garat. Un vacarme à faire éclater les voûtes de la salle m’avertit bientôt de sa présence. Je trouvai que cet excès d’enthousiasme tenait de la folie, et je disais tout bas :

       ………… Si votre ramage
      Est semblable à votre tapage,
   Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.

— Mais voyez donc quelle cravate, disait-on près de nous, et ce petit gilet qui ressemble à une pièce d’estomac : c’est une vraie caricature.

— Eh ! qu’importe, répondait M. de L*** avec humeur ; vous n’êtes pas venu ici pour juger de sa toilette ; et, lors même qu’il serait un peu ridicule, laissez-le jouir d’un droit qui appartient aux grands talents.

Celui de Garat était de force à braver l’ironie des plus malins. La pureté de ses accents, la chaleur de son expression, s’emparaient si vivement de l’âme, qu’on était ému avant de songer à juger sa méthode ; et quand il chantait la scène d’Orphée aux enfers, il réalisait cette belle fiction en charmant jusqu’à la critique. J’avoue qu’après avoir blâmé l’excès des applaudissements qui l’avaient accueilli, je lui en prodiguai de plus vifs encore. On conçoit qu’une telle admiration lui ait inspiré le désir d’y répondre en formant chez nous une école de chant semblable au Conservatoire d’Italie ; c’est à cette institution si longtemps dirigée par nos grands maîtres que nous devons, non-seulement les talents qui font aujourd’hui la gloire de nos théâtres, mais ce goût pour la bonne musique qui nous fait, apprécier également celle des Italiens et des Allemands, et qui nous conduira sans doute à réunir dans nos compositions le mérite de leur différent génie.

Après la première partie du concert, il se fit un grand mouvement dans la salle, les loges se vidèrent tout à coup, et les corridors se remplirent d’élégantes et d’admirateurs qui consacraient alors le temps des entr’actes à se passer mu-