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mer le sentiment que j’éprouvai lorsque je le vis partir si lestement pour le bois de Boulogne

La crainte de le troubler en lui dissimulant mal ce qui se passait dans mon ame m’empêcha de lui demander la permission de le suivre ; mais à peine fut-il monté en cabriolet, que je me rendis chez M. de Léonville pour lui parler du sujet de mon inquiétude ; il en parut aussi pénétré que moi, et me proposa de l’accompagner jusqu’à la porte Maillot, où nous attendrions des nouvelles de l’événement. Tout en s’habillant pour partir, il répétait sans cesse :

— Ne m’avoir pas choisi pour témoin ! c’est bien mal à Gustave ! mais il aura craint l’excès de mon amitié et peut-être ma prudence : si je connaissais au moins ceux qui décident dans cette affaire.

J’en ignorais tous les noms, excepté celui de l’adversaire, et je ne pus rassurer M. de Léonville sur la crainte de voir les intérêts de Gustave mal défendus.

Arrivés à la porte du bois, nous mîmes pied à terre, et après nous être informés de la route qu’avait prise le cabriolet que nous venions de désigner, nous nous décidâmes à la suivre, car l’agitation de M. de Léonville ne lui permettait pas de rester en place ; il marchait à grands pas, et ne rompait le silence que pour demander aux paysans qui se rendaient au marché de Paris s’ils n’avaient pas rencontré les gens que nous cherchions ; les uns disaient oui sans réfléchir, et il se trouvait que c’était une voiture à six chevaux de poste qu’ils venaient de voir passer ; d’autres n’avaient rien vu, ou bien ne nous comprenaient pas ; enfin une laitière dont j’arrêtai la charrette nous dit qu’en revenant de Passy, elle avait remarqué un grand monsieur suivi de deux hommes portant une civière, et qu’ils se dirigeaient du côté du Ranelagh. Ce renseignement n’était pas fait pour nous tranquilliser ; mais je ne sais quelle terreur m’ôta toute envie d’en obtenir d’autres. En traversant l’allée qui conduit à Longchamp, j’aperçus le cabriolet de mon maître, et je courus à toutes jambes vers Germain, dans l’espoir d’apprendre quelque chose de lui ; mais il ne savait rien, si ce n’est qu’après avoir entendu deux coups de pistolet, un homme qu’il ne connaissait pas était