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Dès qu’il se trouva près de la grande route, la résolution qui l’avait conduit jusque-là l’abandonna tout à coup ; l’idée que madame de Lorency s’offenserait peut-être d’une démarche qui, toute simple qu’elle fût, pouvait lui paraitre trop hardie, la crainte qu’elle ne lui laissât pas le temps de se justifier, enfin celle d’être mal reçu, le troubla à tel point que, voulant prendre quelques moments pour se remettre, il se détourna de la porte d’entrée et franchit une des grilles du parc qui donnait dans la cour.

Il faisait une de ces belles soirées du mois de septembre où la nuit est déjà sombre à huit heures, et où l’air est embaumé par le réséda, la tubéreuse et l’héliotrope des parterres. Ermance se livrait au triste plaisir de rêver sans contrainte ; elle méditait sur la fatalité qui avait réuni tant de biens sur elle à la condition de n’en pas jouir. Que de femmes lui enviaient le bonheur d’avoir pour mari l’homme le plus aimable ! Que de mères auraient voulu que leur enfant eût la gentillesse de Léon ! car il devenait chaque jour plus joli et plus caressant : on aurait dit qu’étant dans le secret de sa naissance, il voulait se la faire pardonner à force de caresses ; et pourtant, que de malheurs ces deux êtres, si tendrement aimés, répandaient sur sa vie ! il n’était pas jusqu’à sa fortune dont elle n’eût à se plaindre, car elle servait plutôt à éloigner Adhémar qu’à le rapprocher d’elle ; et ces maux cruels, ces pensées sombres que la consolation de les confier ne pouvait adoucir, ils étaient sans terme : le temps, qui calme tout, n’y devait qu’ajouter. Oh ! tourment sans relâche ! oh ! supplice honteux ! Et cet enfer terrestre, un seul moment d’erreur l’y avait plongée pour toute sa vie !

Malgré l’amertume de ces réflexions et la sévérité de ses jugements sur elle-même, Ermance trouvait encore des charmes dans la solitude : c’est le privilége des âmes qu’une faute n’a pu corrompre ; sans illusion sur leurs torts, elles ne redoutent pas la vérité qui les leur montre dans tout ce qu’ils ont de blâmable. Cette vérité, affreux spectre de la solitude qu’on tenterait vainement de conjurer par l’audace ou la légèreté, divinité implacable qui nous attend chaque soir au