Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/211

Cette page n’a pas encore été corrigée

public, fort agréable à l’œil, car il est ordinairement paré, est aussi le plus difficile à captiver ; ses airs distraits, ses chuchotements, ses réflexions aventurées font d’abord le tourment de la pauvre maîtresse de la maison avant d’arriver à déconcerter l’auteur. À tout cela il faut joindre le dérangement occasionné par les auditeurs tardifs auxquels deux derniers actes de tragédie suffisent pour décider du mérite des premiers, et puis les rires étouffés de certaines jeunes femmes que le souvenir des lectures de pensionnat dispose toujours à l’ironie, et que la vue d’un auditeur qui s’endort plonge dans des accès de gaieté impossibles à calmer.

C’était en proie à ces petites tortures que madame de Lorency écoutait tant bien que mal la pièce de M. de L…, saisissant avec une bonté spirituelle les moindres passages qui prêtaient à l’éloge et cherchant à les faire valoir : mais cette bienveillance était faiblement imitée ; quelques fort bien, c’est écrit à merveille, quelques signes de tête approbatifs venaient lentement et l’un après l’autre ranimer l’auteur, que le froid glacial répandu par son œuvre sur l’auditoire commençait à gagner. Cependant l’ouvrage n’était pas sans mérite, et c’était là le pire ; un plus mauvais aurait moins ennuyé. Mais écouter cinq actes écrits sans faute et sans élégance, sur un sujet connu, dont toutes les situations prévues n’excitent pas une émotion, pas une critique, ni curiosité, ni crainte, enfin une de ces honnêtes tragédies dont l’époque qui a succédé à Voltaire offre tant de modèles, voilà une de ces corvées littéraires pour lesquelles on ne trouve plus de serfs aujourd’hui, et qui faisaient déjà bien des révoltés sous le régime impérial.

Madame de Lorency avait supplié M. du Maizières de ne pas venir à cette lecture, et il aurait bien désiré lui obéir, car il était connu pour l’homme le plus opposé à ce genre de plaisir ou d’ennui, mais il s’était engagé à aller prendre M. Jules de C…, à dix heures, chez le prince de Neufchatel, et il voulait tenir sa promesse.

— Je suis trop l’ami de M. de L…, avait-il dit, pour entendre un mot de sa pièce ; mais que vous importe, si je la loue de manière à vous contenter tous les deux : permettez-moi seule-