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seule resta silencieuse au milieu des cris d’admiration qui se firent entendre à la fin de l’air qui venait de ravir tous les amateurs. Tant d’indifférence de la part d’une personne connue pour être la plus digne d’apprécier un si beau talent, fut remarquée de tout le monde ; on vint lui dire que madame M… s’était surpassée dans l’espoir d’acquérir son suffrage, et qu’elle s’affligeait de ne l’avoir point obtenu ; ce reproche sortit Mathilde de sa rêverie. Elle s’empressa de se justifier en disant qu’elle était souffrante, et en adressant à madame M… les mots les plus obligeants. Mais si tant de soins prouvèrent sa politesse, et cette crainte de désobliger qui donne aux moindres actions une grâce affectueuse, ils ne détruisirent pas les idées qu’avait fait naître sa préoccupation dans l’esprit de madame de Voldec et de plusieurs autres femmes, intéressées à lui découvrir un secret. Celles qui n’avaient jamais vu M. de Varèze s’appliquer à lui plaire s’imaginèrent que le prince Albert de S… était l’objet de sa rêverie ; en effet, ce jeune prince, doué de tous les avantages qu’on prodigue pour l’ordinaire aux héros de romans, était de plus paré d’un regret amoureux qui ajoutait un grand charme à ses qualités naturelles. Le respect qu’inspirent les nobles douleurs empêchait d’abord qu’on essayât de le distraire ; mais bientôt, encouragé par son sourire à la fois triste et gracieux, on se livrait malgré soi au désir de vaincre sa mélancolie. Cette sympathie du malheur, qui réunit si vite,