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N’est-ce pas, ajouta Mathilde, je vois à vos regrets que vous l’avez connu ?

— Si je l’ai connu ! répondit le soldat : c’est moi qui l’ai ramené d’Égypte ; c’est moi qui l’ai suivi à Marengo ; c’est moi qui l’ai porté là…, ajouta-t-il d’une voix étouffée en montrant la tombe…

— Et c’est là que vous venez prier pour votre pays ? dit Mathilde.

— Mon pays ! répéta-t-il ; il y a quinze ans que je ne me mêle plus de ses affaires. Je prie pour que le ciel prenne en pitié le reste de notre vieille armée ; nous ne sommes plus beaucoup d’anciennes moustaches, et puisque l’on ne se sert plus de nous, on devrait au moins nous conserver pour apprendre aux nouveaux le métier. Au reste, je ne dis cela que pour les camarades ; car, du jour où j’ai vu une pique de cosaque à la barrière du Trône, j’ai demandé mon congé ; et comme j’avais dix blessures encore saignantes, on ne m’a pas refusé d’aller me faire panser par ma pauvre mère, dans notre village de…, contre Grenoble. C’est de là que je viens ici tous les ans quand le temps et mes blessures le permettent ; car la côte est rude, et on ne la monte pas facilement avec une jambe mitraillée ; mais c’est égal, je me dis : Si elle arrive malade, les bons pères la guériront ?

— Puisque vous venez chaque année dans ces montagnes, vous devez être un excellent guide, surtout pour ceux qu’intéressent les moindres détails