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sonnes qui les accompagnaient, vint s’asseoir près de la tombe de Rousseau ; et là, se livrant à sa triste rêverie, elle se rappela combien de fois l’ironie cruelle, cette arme favorite des Français, avait blessé le cœur le plus sensible ; comment il l’avait accusée d’avoir découragé son esprit, aigri son caractère ; et se retraçant tout ce qu’il disait à son Émile pour le mettre en garde contre cette fatale puissance, Mathilde s’écriait avec le philosophe : Oui, le triomphe des moqueurs est de courte durée[1] ; et désirant se convaincre de la vérité de cette sentence, elle l’inscrivit au crayon sur le tombeau de celui qui l’avait dictée. Puis elle s’éloigna de l’île des Peupliers, en se promettant d’y revenir bientôt rendre grâce à l’oracle.

Mais lorsqu’elle voulut accomplir ce projet, elle trouva le parc d’Ermenonville envahi par une compagnie d’étrangers qui visitait ce beau lieu, en laissant éclater une gaieté si bruyante, qu’on pouvait savoir à leurs éclats de rire à quel endroit ils s’arrêtaient. Mathilde s’étonna que l’aspect mélancolique de ces vieux ombrages, de ces tristes lacs, qui semblent consacrés au silence, au dernier repos, n’inspirât pas à tout le monde, comme à elle, le saint recueillement qu’elle éprouvait ; et dans l’espoir que l’île des Peupliers serait du moins à l’abri de cette profanation, elle se dirigea de ce côté : mais la vue d’un homme assis, occupé à dessiner près du tombeau, empêcha Mathilde

  1. Émile, liv. IV.