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Sous le règne de Louis-Philippe, malgré le caractère si moral de la famille régnante, le dirai-je ? la jeune femme avait fort dégénéré, ou du moins elle s’était émancipée plus qu’on n’aurait pu croire sous un régime si sage. Il s’était glissé de bonne heure chez elle du Musset, un peu de George Sand, Eugène Sue brochant sur le tout ; un peu de socialisme avant l’effroi, avant l’épreuve, avant la lettre, me dit un spirituel voisin ; un peu de théorie et beaucoup de caprice. Le cigare, ou du moins la cigarette était de mise dans le boudoir. Je ne parle que des lionnes, dira-t-on ; mais il y en avait à bien des degrés et à plus d’un étage. Tout cela, déjà, est un peu vieux, c’est de l’ancien régime ; les jeunes femmes du régime nouveau s’essaient encore, et je ne les connais plus.

Madame Sophie Gay, par le caractère et par le tour natif, datait de bien avant la Restauration ; elle est une des femmes qui avaient le plus d’esprit sous l’Empire ; mais, comme il arrive, l’auteur chez elle retardait sur la femme du monde ; ce n’est que dans les premières années de la Restauration et dans cette seconde moitié de son âge qu’elle a réalisé la plupart de ses productions littéraires. En avançant, elle s’est appliquée sans trop d’efforts à les tailler dans la forme du jour, à leur en donner la coupe et la couleur : elle y a réussi. Sans énumérer ici ses nombreux romans, nul, en la lisant, ne devinerait qu’elle fut, par ses débuts, et, je dirai mieux, par son chef-d’œuvre (Léonie de Montbreuse), d’une époque si antérieure. Qui a lu le Moqueur amoureux (1830), un Mariage sous l’Empire (1832), la Duchesse de Châteauroux (1834), ne s’est aperçu en rien que ce ne fût pas à un auteur du moment, et du dernier moment, qu’il ait eu affaire. La Duchesse de Châteauroux, particulièrement, obtint du succès dans le public ; ce n’est que nous autres, critiques, qui nous sommes dit que c’est un de ces romans trop voisins