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étudier cette langue de l’abbé Sicard et de l’abbé de L’Épée que Valentine a consacré ses matinées durant les trois derniers mois : « Lorsque j’ai senti, dit-elle, que rien ne pouvait m’empêcher de l’aimer, j’ai voulu apprendre à le lui dire. »

Cette première veine délicate et nuancée, cette première manière de roman s’arrête pour madame Gay avec Anatole, et elle ne la prolongea point au delà de l’époque de l’Empire. En 1818, madame Gay publia le premier volume d’un roman intitulé : les Malheurs d’un Amant heureux, et dont elle donna les deux volumes suivants en 1823. C’est censé écrit par une espèce de valet de chambre très-instruit et très-lettré, qui, au besoin, est homme à citer Horace en latin, Shakespeare en anglais, et à avoir lu Corinne. Malgré ces invraisemblances, le ton de ce roman, surtout du premier volume, est facile et naturel ; c’est le Gil Blas de madame Gay, et elle s’y permet sous le masque des traits plus gais, plus vifs, plus lestes si l’on veut, que dans sa première manière. Elle y peint avec assez de naïveté et avec beaucoup d’entrain les mœurs de la société dans sa jeunesse, ce pêle-mêle de grandes dames déchues, de veuves d’émigrés vivants, de fournisseurs enrichis, de jacobins à demi convertis, dont quelques-uns avaient du bon et à qui l’on se voyait obligé d’avoir de la reconnaissance :

« En vérité il y a de quoi dégoûter d’une vertu qui peut se trouver au milieu de tant de vices, et il me semble qu’on ne lui doit pas plus de respect qu’à une honnête femme qu’on rencontrerait dans un mauvais lieu. — Soit ; mais c’est encore une bonne fortune assez rare pour qu’on en profite sans ingratitude. »

Les scènes du monde d’alors, les originaux qui y figurent et qu’on y raille, les talents divers qu’on y applaudit, depuis le chanteur Garat jusqu’au républicain Daunou,