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Sous Louis XIV même, jamais la cour d’une favorite n’avait offert un semblable spectacle. Car, dans son désir d’entourer le roi de toutes les illustrations, de toutes les supé-

    pas peur, quoique femme, je sais garder un secret. Je suis fort de votre avis, et crois que ce serait très-glorieux pour lui, et qu’il n’y a que lui capable de remettre les troupes comme il serait à désirer quelles fussent, ainsi que les têtes qui me paraissent en fort mauvais état, par l’effroi qui gagne tout le monde. Il est vrai que nous sommes dans un moment bien critique, et que le roi sent mieux qu’on ne le croit l’envie d’aller à vous ; je vous réponds qu’elle ne lui manque pas. Mais moi, ce que je désirerais, c’est que cela fût généralement approuvé, et qu’au moins il recueillit le fruit qu’une telle démarche mériterait. Pour un début, ne faudrait-il pas faire quelque chose ? Aller là pour rester sur la défensive, cela ne serait-il pas honteux ? et si, d’un autre côté, le hasard faisait qu’il y eût quelque chose avec le prince Charles, on ne manquerait peut-être pas de dire qu’il a choisi le côté où il y avait le moins d’apparence d’une affaire. Je vous fais peut-être là des raisonnements qui n’ont pas le sens commun, mais au moins j’espère que vous me direz franchement que je ne sais ce que je dis ; n’imaginez pas que c’est parce que je n’ai pas envie qu’il aille à l’armée, car, au contraire ; premièrement ce ne serait pas lui plaire, et en second lieu tout ce qui pourra contribuer à sa gloire et l’élever au-dessus des autres rois sera toujours fort de mon goût. Je crois, monsieur le maréchal, que, pendant que j’y suis, je ne saurais mieux faire que de prendre conseil de vous généralement sur tout. J’admets que le roi parte pour l’armée, il n’y a pas un moment à perdre. Il faudrait que cela fût très-prompt. Qu’est-ce que je demanderais ? Est-ce qu’il serait possible que ma sœur et moi nous le suivissions ? et au moins si nous ne pouvions aller à l’armée avec lui nous mettre à portée d’en recevoir des nouvelles tous les jours. Ayez la bonté de me dire vos idées et de me conseiller ; car je n’ai point envie de rien faire de singulier, et rien qui puisse retomber sur lui, et lui faire donner des ridicules. Vous voyez que je vous parle comme à mon ami, comme à quelqu’un sur qui je compte ; n’est-ce pas encore un peu de présomption ? Mais elle est fondée, monsieur le maréchal, sur les sentiments d’amitié et d’estime singulière que vous a voués pour la vie votre Ritournelle*. » Je crois qu’il est bon de vous dire que j’ai demandé au roi permission de vous écrire sur ces matières, et que c’est avec son approbation.

    » Mailly de Chateauroux. »

    (L’original de cette lettre est parmi les manuscrits de la Bibliothèque royale).

    (*) Petit nom donné par le maréchal à madame de la Toumelle.