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VOYAGE EN ORIENT.

que, comme on sait, le français est la langue diplomatique universelle. Les fonctionnaires turcs, pour correspondre avec les cabinets étrangers, sont obligés d’employer notre langue. C’est ce qui explique l’existence à Paris des colléges turcs et égyptiens.

Quant aux femmes du sérail, ce sont des savantes : toute dame appartenant à la maison du sultan reçoit une instruction très-sérieuse en histoire, poésie, musique, peinture et géographie. Beaucoup de ces dames sont artistes ou poëtes, et l’on voit souvent courir à Péra des pièces de vers ou des morceaux lyriques dus aux talents de ces aimables recluses.


IV — LES BUVEURS D’EAU


On peut s’arrêter un instant aux spectacles de la place de Sérasquier, à ces scènes de folie qui se renouvellent dans tous les quartiers populaires, et qui prennent partout une teinte mystique inexplicable pour nous autres Européens. Qu’est-ce, par exemple, que Caragueus, ce type extraordinaire de fantaisie et d’impureté, qui ne se produit publiquement que dans les fêtes religieuses ? N’est-ce pas un souvenir égaré du dieu de Lampsaque, de ce Pan, père universel, que l’Asie pleure encore ?…

Lorsque je sortis du café, je me promenai sur la place, songeant à ce que j’avais vu. Une impression de soif que je ressentis me fit rechercher les étalages des vendeurs de boissons.

Dans ce pays où les liqueurs fermentées ou spiritueuses ne peuvent se vendre extérieurement, on remarque une industrie bizarre, celle des vendeurs d’eau à la mesure et au verre.

Ces cabaretiers extraordinaires ont des étalages où l’on distingue une foule de vases et de coupes remplis d’une eau plus ou moins recherchée. À Constantinople, l’eau n’arrive que par l’aqueduc de Valens, et ne se conserve que dans des réservoirs dus aux empereurs byzantins, où elle prend souvent