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LES NUITS DU RAMAZAN.

— Madame, je vous demande la permission d’y réfléchir… Que je suis malheureux !… se dit Osman resté seul ; épouser deux femmes, dont l’une est belle et l’autre laide. Il faut passer par l’amertume pour arriver au plaisir…

La juive revient et il l’instruit de sa position.

— Que dites-vous ? répond cette dernière ; mais la seconde épouse est charmante ! N’écoutez donc pas une femme qui parle de sa rivale. Il est vrai que celle que vous aimez est blonde et l’autre brune. Est-ce que vous haïssez les brunes ?

— Moi ? dit l’amant. Je n’ai pas de tels préjugés.

— Eh bien, dit la juive, craignez-vous tant la possession de deux femmes également charmantes ? car, quoique différentes de teint, elles se valent l’une l’autre… Je m’y connais !

— Si tu dis vrai, reprend Osman, la loi du prophète qui oblige tout époux à se partager également entre ses femmes me deviendra moins dure.

— Vous allez la voir, dit la juive ; je l’ai prévenue que vous étiez amoureux d’elle, et que, quand elle vous avait vu passer dans la rue et vous arrêter sous ses fenêtres, c’était toujours à son intention.

Osman se hâte de récompenser l’intelligente messagère et voit bientôt entrer la seconde veuve du bimbachi. Elle est fort belle, en effet, quoique un peu bronzée. Elle se montre flattée des attentions du jeune homme et ne recule pas devant le mariage.

— Vous m’aimiez en silence, dit-elle, et l’on m’a instruite que vous ne vous déclariez pas par timidité… J’ai été touchée de ce sentiment. Maintenant, je suis libre et je veux récompenser vos vœux. Faites demander le cadi.

— Il n’y a point de difficultés, dit la juive ; seulement, ce malheureux jeune homme doit de l’argent à la grande dame (la première).

— Quoi ! dit la seconde, cette créature laide et méchante fait l’usure ?

— Hélas, oui !… et c’est moi qui me suis entremise dans