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VOYAGE EN ORIENT.

contre et les invite à entrer dans une galère (sorte de cabaret) pour se rafraîchir ; mais où attacher les chevaux ?

— Tiens, voilà un pieu.

Et on attache les chevaux à Caragueus.

Bientôt des chants joyeux, provoqués par l’aimable chaleur du vin de Ténédos, retentissent dans le cabaret. Les chevaux, impatients, s’agitent : Caragueus, tiré à quatre, appelle les passants à son secours, et démontre douloureusement qu’il est victime d’une erreur. On le délivre et on le remet sur pieds. En ce moment, l’épouse de son ami sort de la maison pour se rendre au bain. Il n’a pas le temps de se cacher, et l’admiration de cette femme éclate par des transports que l’auditoire s’explique à merveille.

— Le bel homme ! s’écrie la dame ; je n’en ai jamais vu de pareil.

— Excusez-moi, madame, dit Caragueus toujours vertueux, je ne suis pas un homme à qui l’on puisse parler… Je suis un veilleur de nuit, de ceux qui frappent avec leur hallebarde pour avertir le public s’il se déclare quelque incendie dans le quartier.

— Et comment te trouves-tu là encore à cette heure du jour ?

— Je suis un malheureux pécheur,… quoique bon musulman ; je me suis laissé entraîner au cabaret par des giaours. Alors, je ne sais comment, on m’a laissé mort-ivre sur cette place : que Mahomet me pardonne d’avoir enfreint ses prescriptions !

— Pauvre homme !… tu dois être malade… Entre dans la maison et tu pourras y prendre du repos.

Et la dame cherche à prendre la main de Caragueus en signe d’hospitalité.

— Ne me touchez pas ! s’écrie ce dernier avec terreur ; je suis impur !… Je ne saurais, du reste, entrer dans une honnête maison musulmane… J’ai été souillé par le contact d’un chien.