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lorely.

cher, soit pour blesser. Dans sa jeunesse, il voulait embrasser la carrière d’auteur dramatique, et se sentait porté à ressusciter la tragédie germanique, telle que l’ont créée ses illustres maîtres. L’influence du drame bourgeois, qui envahissait la scène allemande, lui paraissait fatale. Son imagination ardente demandait aux ressources dont dispose le théâtre de mettre en jeu des éléments plus imposants, de parler au cœur et à l’esprit un langage plus pompeux, et de faire concevoir à la foule des personnages et des événements que le merveilleux de la poésie peut grandir à des proportions plus hautes que la taille des contemporains. Vivement préoccupé de cette pensée, fortement nourri du suc puissant que renferment les tragédies antiques, les vieux poëmes germaniques et les plus hardies conceptions des Gœthe et des Schiller, il cherchait encore on moule à son propre sentiment, et n’avait produit que des ébauches qui ne le satisfaisaient point.

Un soir, il assistait à la représentation d’Egmont accompagné de la musique de Beethoven. Saisi, transporté, en proie à une émotion inconnue jusque-là, il voulut se rendre compte de ce qui l’impressionnait si fortement. Il résolut de rechercher tous les moyens d’éveiller aussi de pareilles impressions dans son auditoire, et, attribuant la vive émotion qu’il avait ressentie à la réunion de deux arts différents concourant à réveiller les mêmes sentiments, à la coopération de deux génies de sphères diverses réunissant leurs prestiges pour provoquer les mêmes sensations, il se persuada que l’art dramatique tel que nous le possédons est un art incomplet, et que, pour l’amener à sa plus parfaite expression, il fallait tendre à en faire une sorte de foyer vers lequel tous les autres arts convergeraient.

Suivant la pente des esprits de sa nation, vers la réduction en théorie abstraite de tous les points de vue qu’ils découvrent, il imagina que la scène était destinée à devenir une sorte d’autel de l’art, autour duquel toutes ses branches viendraient se grouper. Nous croyons aisément que cette pensée, développée par Wagner dans les brochures qu’il a publiées depuis