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LES NUITS DU RAMAZAN.

pipes et du café, et nous leur exposâmes l’affaire. Ils ne virent aucun inconvénient à me recevoir parmi eux, pourvu que je prisse leur costume. Mais, comme j’en avais déjà plusieurs parties, notamment un machlah en poil de chameau, qui m’avait servi en Égypte et en Syrie, il ne me fallait plus qu’un bonnet d’astrakan pointu à la persane, que l’Arménien me procura.

Plusieurs de ces Persans parlaient la langue franque du Levant, dans laquelle on finit toujours par s’entendre, pour peu qu’on ait vécu dans les villes commerçantes ; de sorte que je pus facilement lier amitié avec mes voisins. J’étais vivement recommandé à tous ceux qui habitaient la même galerie, et je n’avais à m’inquiéter que de leur trop grand empressement à me faire fête et à m’accompagner partout. Chaque étage du khan avait son cuisinier, qui était en même temps cafetier ; nous pouvions donc parfaitement nous passer des relations extérieures. Cependant, quand venait le soir, les Persans, qui, comme les Turcs, avaient dormi toute la journée pour pouvoir fêter ensuite chaque nuit du Ramazan, m’emmenaient avec eux voir la fête continuelle qui devait durer trente lunes.

Si la ville était illuminée splendidement, pour qui la regardait des hauteurs de Péra, ses rues intérieures me parurent encore plus éclatantes. Toutes les boutiques ouvertes, ornées de guirlandes et de vases de fleurs, radieuses à l’intérieur de glaces et de bougies, les marchandises artistement parées, les lanternes de couleur suspendues au dehors, les peintures et les dorures rafraîchies, les pâtissiers surtout, les confiseurs, les marchands de jouets d’enfant et les bijoutiers étalant toutes leurs richesses, voilà ce qui, partout, éblouissait les yeux. Les rues étaient pleines de femmes et d’enfants plus encore que d’hommes ; car ces derniers passaient la plus grande partie du temps dans les mosquées et dans les cafés.

Il ne faut pas croire même que les cabarets fussent fermés ; une fête turque est pour tout le monde ; les rayas catholiques, grecs, arméniens ou juifs pouvaient seuls fréquenter ces éta-