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lorely.

Nous avions si souvent discuté ensemble sur la possibilité de faire un Faust dans le goût français, sans imiter Gœthe, l’inimitable, en nous inspirant seulement des légendes dont il ne s’est point servi, — que, malgré l’heure avancée, je me hâtai d’aller voir au moins la seconde partie de l’opéra.

Il était huit heures, et le spectacle finissait à neuf.

Vous rappelez-vous cette grande salle, située au bout des allées de la promenade, et où nous avons vu représenter Griseldis, dans la loge de la famille Rothschild ?… C’était beau, n’est-ce pas, cette pièce héroïque, qui a été en Allemagne le dernier soupir de la tragédie ? Et quelle émotion l’actrice inspirait, même à ceux qui ne comprenaient pas la langue ! et quel drame populaire que celui-là, dans lequel une reine est obligée, au dénoûment, de demander pardon à la fille d’un charbonnier !

La salle, cette fois, était garnie d’une foule plus compacte et plus brillante que celle que nous avions vue assister à Griseldis. C’est qu’ici comme partout la musique exerce l’attraction principale. La salle est fraîchement restaurée, jaune et or, — et l’on voit toujours au-dessus du rideau l’horloge qui, continuellement, indique l’heure aux spectateurs : attention toute germanique.

Lorsque j’entrai, on en était à cette scène de bal où l’on danse une sarabande dans laquelle chacun tient un flambeau à la main ; rien n’est plus gracieux et plus saisissant. Chaque couple s’éloigne ensuite et disparaît tour à tour dans la coulisse, et le nombre des flambeaux diminuant ainsi, amène peu à peu l’obscurité, image de la mort. Puis le tamtam résonne et le diable paraît.

Quelle entrée ! Alors éclate un chant de basse moitié mélancolique et moitié sauvage, tour à tour énergique et chevrotant, avec des modulations finales dans le goût du xviiie siècle, qu’interrompent des accords stridents. L’acteur a laissé quelque chose à désirer dans l’exécution de ce morceau, développé à la manière de l’air de la Calomnie. La musique de Spohr rappelle