Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/498

Cette page a été validée par deux contributeurs.
486
lorely.

Pendant l’instant que nous étions restés seuls, j’avais pu jeter les yeux sur une bibliothèque où se trouvaient des livres d’histoire et de poésie. La table placée au milieu de la chambre était couverte de livres et de feuilles manuscrites ; sur la cheminée, il y avait des bocaux d’animaux conservés dans l’esprit-de-vin ; il nous apprit lui-même qu’il s’occupait beaucoup d’histoire naturelle. On comprend que notre conversation ne pouvait rester longtemps dans le vague ; nos préoccupations historiques pouvaient seules donner quelque convenance à notre visite, surtout vis-à-vis d’un homme auquel il paraissait impossible d’offrir quelque rémunération. Le docteur Widmann nous donna encore beaucoup de détails, dont plusieurs répétaient ceux que nos passants de la veille nous avaient racontés déjà ; il nous fit voir même, après quelque hésitation, le sabre dont son père s’était servi : la forme nous étonna.

Nous nous étions imaginé jusque-là que l’on enlevait la tête fort simplement d’un bon coup de sabre de dragon ou de cimeterre à la turque. L’instrument que nous avions sous les yeux confondait toutes nos idées. Le tranchant était en dedans comme celui d’une serpette ; de plus, la lame était creuse et contenait du vif-argent, afin que, l’élan étant donné au sabre, ce métal, se portant vers la pointe, rendît le coup plus assuré. Ainsi toute l’adresse du… docteur consiste à combiner un mouvement de rotation autour du col, qui, avant de toucher l’os, enlève presque toute la chair ; on ne tranche donc pas la tête, on la cueille pour ainsi dire. Nous nous contentâmes de l’explication sans demander aucune expérience.

D’ailleurs, notre pauvre exécuteur de Bade n’a jamais exercé le terrible état de son père. Il nous a confié même qu’il tremblait tous les jours qu’il ne se commît un crime dans le duché, ce qui est heureusement fort rare, et qu’il ne savait trop à quoi il se résoudrait dans ce cas. Curieux comme des Anglais, nous demandâmes encore à voir la tonnelle dont on nous avait parlé à Heidelberg. Le docteur Widmann, n’ayant pas le temps de nous accompagner au jardin de son père où elle se trouve,