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lorely.

nous met dans ses livres. » Je désire que le lecteur se contente de cette explication.

D’ailleurs, qui pourrait se vanter de connaître les mœurs d’un pays sans y être resté plusieurs années ; ce n’est qu’à l’imperturbable tourysme des Anglais qu’il appartient de se prononcer au hasard sur les personnes comme sur les choses. La bienveillance universelle de mistress Trolloppe n’a guère moins déplu en Allemagne que les révélations épigrammatiques du prince Puckler-Muskau.

On me permettra donc de ne point dire en quelle compagnie nous fîmes un jour une excursion dans la principauté de Hesse-Hombourg, ni à quelle charmante fête nous primes part dans un château gothique tout moderne, au milieu d’une épaisse forêt de chênes et de sapins. Je croyais faire un de ces romanesques voyages de Wilhelm Meister, où la vie réelle prend des airs de féerie, grâce à l’esprit, aux charmes et aux sympathies aventureuses de quelques personnes choisies. Le but de l’expédition était d’aller à Dornshausen, mot qui, dans la prononciation allemande, se dit à peu près Tournesauce. Or, savez-vous ce que c’est que ce lieu, dont le nom est si franchement allemand et si bizarrement français à la fois ? C’est un village où l’on ne parle que notre langue, bien que l’allemand règne à cinquante lieues à la ronde, même en dépassant de beaucoup la frontière française. Ce village est habité par les descendants des familles protestantes exilées par Louis XIV. Dornshausen leur fut donné à cette époque, m’a-t-on dit, par le prince électeur de Nassau, et ils sont restés, eux et leur lignée, dans cet asile austère et calme comme leur résignation et leur piété.

Cette population est toute française encore, car les habitants ne se sont jamais mariés qu’entre eux, et le beau langage du XVIIe siècle s’est transmis à ceux d’aujourd’hui dans toute sa pureté. Vous peindrez-vous toute notre surprise en entendant de petits enfants, jouant sur la place de l’Église, qui parlaient la langue de Saint-Simon et se servaient sans le savoir des tours surannés du grand siècle ? Nous en fûmes tellement ravis,