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lorely.

la ville, touche au fleuve par ses deux côtés. Le soir, ces ombrages parfumés, ces allées mystérieuses s’emplissent de rires, d’harmonies et de danses ; des barques pavoisées sillonnent le Mein paisible, et s’en vont aboutir souvent à l’îlot de Meinlust. Rien n’égale cet aspect de Francfort, entourée d’une ceinture de promenades qui remplacent ses antiques fortifications. Quand on a parcouru ces allées riantes, qui aboutissent de tous côtés aux bords du Mein, on peut s’aller reposer dans l’île verte et fleurie du Meinlust. C’est là le centre des plaisirs de la population, et aussi le rendez-vous des belles compagnies. Du pavillon élégant qui domine ce jardin, on admire une des plus belles perspectives du monde, la vue de Francfort s’étendant sur la rive gauche, avec ses quais bordés d’une forêt de mâts, et du faubourg de Sachsenhausen situé à droite, qu’un pont immense joint à la ville ; des palais aux riantes terrasses, de longues suites de jardins et des restes de vieilles tours embellissent les bords du fleuve, où le soleil couchant se plonge comme dans la mer, tandis que la chaîne du Taunus forme au loin l’horizon de ses dentelures bleuâtres. C’est une de ces belles et complètes impressions dont le souvenir est éternel ; une vieille ville, une magnifique contrée, une vaste étendue d’eau : spectacle qui réunit dans une harmonie merveilleuse toutes les œuvres de Dieu, de l’homme et de la nature.

Dès qu’on pénètre dans les rues, on retrouve avec plaisir cette physionomie de ville gothique qu’on a rêvée pour Francfort, et que le goût moderne a presque partout altérée dans les cités allemandes. Il y a encore des rues tortueuses, des maisons noires, des devantures sculptées, des étages qui surplombent, des puits surmontés d’une cage de serrurerie, des fontaines aux attributs bizarres, des chapelles et des églises d’une architecture merveilleuse, mais qui malheureusement, catholiques au dehors, sont protestantes à l’intérieur, c’est-à-dire nues et dégradées. L’esprit a été tué dans ces superbes enveloppes de pierre, et elles ressemblent aujourd’hui aux