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lorely.

personnes de la plus haute société ne faisaient-elles pas de difficulté de dîner là dans le salon public. En général, la cuisine est fort bonne à Bade ; les truites de la Mourgue sont dignes de leur réputation ; on y mange le gibier frais et non faisandé, c’est un système de cuisine qui donne lieu à diverses luttes d’opinion ; les côtelettes se servent frites, les gros poissons grillés. La pâtisserie est médiocre, les puddings se font admirablement. Pardon de tous ces détails, qui rappellent la célèbre relation du Voyage à Coblence de Louis XVIII ; mais je sais que cette littérature ne manque pas de charmes pour vous.

La nuit est tombée, des groupes mystérieux errent sous les ombrages et parcourent furtivement les pentes de gazon des collines ; au milieu d’un vaste parterre entouré d’orangers, la maison de conversation s’illumine, et ses blanches galeries se détachent sur le fond splendide de ses salons. À gauche est le café, à droite le théâtre, au centre l’immense salle de bal dont le principal lustre est grand comme celui de notre Opéra. La décoration intérieure est d’un style pompéi un peu classique, les statues sentent l’Académie, les draperies rappellent le goût de l’Empire ; mais l’ensemble est éblouissant et la cohue qui s’y presse est du meilleur ton. L’orchestre exécute des valses et des symphonies allemandes auxquelles la voix des croupiers ne craint pas de mêler quelques notes discordantes. Ces messieurs ont fait choix de la langue française, bien que leurs pontes appartiennent en général à l’Allemagne et à l’Angleterre. « Le jeu est fait, messieurs ! rien ne va plus ! — Rouge gagne, couleur perd ! Treize, noir, impair et manque ! » Voilà les phrases obligées qui se répondent du bord des trois tapis verts, dont le plus entouré est celui du trente-et-quarante. On ne peut trop s’étonner du nombre de belles dames et de personnes distinguées qui se livrent à ces jeux publics. J’ai vu des mères de famille qui apprenaient à leurs petits enfants à jouer sur les couleurs ; aux plus grands, elles permettaient de s’essayer sur les numéros. Tout le monde sait que le grand-duc de Hesse est l’habitué le plus exact des jeux de Bade. Ce prince, qui pos