Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/463

Cette page a été validée par deux contributeurs.
451
lorely.

même accompagner les repas de table d’hôte. On dîne de midi à une heure. À peine êtes-vous admis à consommer une soupe aux boulettes ou un bouilli aux betteraves, que vous voyez six individus qui viennent s’asseoir derrière vous, à une table ronde, où ils étalent leur partition, et se mettent à exécuter avec verve une ouverture, une valse, ou même une symphonie. La musique doit se joindre à tous les assaisonnements bizarres dont s’accompagne forcément la cuisine allemande, qui est encore aujourd’hui la cuisine de Strasbourg.

Maintenant, connaissez-vous assez Strasbourg, et voulez-vous connaître Bade ? Nous partirons quand vous voudrez.


ii — LA FORÊT NOIRE


J’entame ce chapitre sur un point bien délicat, que nul touriste n’a encore osé toucher, ce me semble, hormis, peut-être, notre vieux d’Assoucy, le joueur, le bretteur, le goinfre, enfin le plus aventureux compagnon du monde. C’est à savoir le cas plus ou moins rare où un voyageur se trouve manquer d’argent.

Faute d’argent, c’est douleur sans pareil.

comme disait François Villon.

En général, les impressions les plus déshabillées se taisent à cet endroit ; ces livres véridiques ressemblent aux romans de chevalerie, qui n’oseraient nous apprendre quel a été tel jour le gîte et le souper de leur héros, et si le linge du chevalier n’avait pas besoin de temps en temps d’être rafraîchi dans la rivière.

George Sand nous donne bien quelques détails parfois sur sa blouse de forestière, sur sa chaussure éculée ou sur ses maigres soupers, assaisonnés de commis voyageurs ou de larrons présumés dans mainte auberge suspecte. Le prince Puckler-Muskau lui-même nous avoue qu’il vendit un jour sa voiture, congédia son valet de chambre, et daigna traverser deux ou trois principautés allemandes pédestrement, en costume